L'horloge parlante

Pour quiconque est passionné de philosophie, Candide est un livre à lire. Il en va de même pour tous ceux qui aiment une langue belle, un humour piquant et un style des plus ironiques. Si, par contre, vous aimez les histoires à l’eau de rose, les amours sains et sans contraintes, ce n’est pas la peine de poser les yeux sur la couverture.

Personnellement, j’appartiens à la première catégorie. Lire Candide ou lire Zadig, bref, lire un vrai conte philosophique de Voltaire, c’est une manière de comprendre un grand homme de lettres aussi controversé que rempli de paradoxes.

Dans Zadig, déjà, Voltaire présentait un monde soumis aux caprices d’une destinée aveugle. Il disait même que « Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. » On constate ici le rapprochement à faire entre les deux contes.

Dans Candide, Voltaire va s’en prendre à l’optimisme du philosophe Leibniz. Mais sa pensée est très schématisée, c’est surtout aux disciples de Leibniz qu’il s’en prend, à travers Pangloss, le précepteur de Candide. Pangloss croit en l’harmonie pré-établie : tout mal est compensé par un bien, donc, à la limite, plus il y a de malheurs, plus ce sera bien. Candide est aussi un roman de formation : prédisposé à croire ingénument, Candide va petit à petit acquérir son autonomie.

Candide, chassé par le baron, part à la découverte de ce que Pangloss appelle le « meilleur des mondes » et sera confronté à toutes les atrocités possibles… partout, ce n’est que le mal, l’intolérance, les injustices, etc. Face à tant de malheurs, les discours de Pangloss sont sans cesse démentis par les faits. Le seul passage heureux est le pays d’Eldorado, qui relève de l’utopie : tout va bien, il n’y a pas de religion instituée. En fait, le pays d’Eldorado souligne la noirceur des autres pays.

Candide, par un refus des systèmes, va se détacher de l’enseignement de Pangloss («L’optimisme, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand tout va mal »).

À la fin, tous les personnages se retrouvent ensemble à Constantinople (topos du roman d’aventures du XVIIe) où Candide retrouve Cunégonde qui est devenue laide mais qu’il épousera quand même (la quête de la belle est tournée en dérision).

Tous les personnages rencontrent un derviche. S’ensuit un dialogue de sourds entre Pangloss et le religieux musulman : Dieu se préoccupe uniquement de l’ordre général et pas des destinées particulières (un peu comme un sultan qui envoie un navire quelque part : il ne se soucie pas des souris qui sont à bord, il s’inquiète juste de l’arrivée du navire à bon port).

Il y a toujours un certain optimisme, même si Candide est désabusé. On a donc une conclusion désenchantée et tonique. C’est différent du désespoir, c’est la rage de vivre qui l’emporte.

À la fin du conte, Candide dit : « Mais il faut cultiver notre jardin », c’est-à-dire qu’il faut être efficace, œuvrer concrètement dans notre sphère.

Les limites de Voltaire se trouvent dans son côté élitaire, son fanatisme dans la lutte contre le fanatisme, son conservatisme esthétique, son ironie parfois mal comprise (cf. Musset qui parle en termes de « son hideux sourire »). La problématique du mal et de l’injustice n’est pas non plus pleinement exploitée.

Cependant, ces quelques points négatifs n’enlèvent rien à la finesse de la plume de François-Marie Arouet, une plume admirable, cinglante lorsqu’il le faut, piquante et ironique à souhait. Une « bonne plume » n’est rien à côté de telle qualité d’écriture. Et l’on comprend pourquoi on parle du français comme de « la langue de Voltaire » ! Ce Français du XVIIIe donne réellement ses lettres de noblesse à une langue qui devint à l’époque la langue diplomatique par excellence.

Candide apparaît mûri. Il a tiré profit de ses expériences, de son voyage initiatique et de ses observations. Il a en plus acquis de l’autorité, et il peut même juger de lui-même. Candide est devenu philosophe. D’après Voltaire, un philosophe est quelqu'un qui possède un esprit critique sur un raisonnement qui lui est propre. Candide est au début un personnage sans épaisseur. Il acquiert une dimension patriarcale car c’est le chef, figure centrale de la communauté, celui dont la parole résume et rassemble. Sa fonction n’est plus d’apporter une contradiction à Pangloss, il est désormais le maître financier et intellectuel.

Contrairement à Candide, Pangloss n’a pas évolué. Il s’entête dans des raisonnements qui tournent à vide. Il est incapable de penser par lui-même car son premier raisonnement est « selon le rapport de tous ». Il se réfère en effet
à la Bible « Ut operatum eum » (« pour qu’il travaille ») et aux philosophes. C’est pourquoi Pangloss ne maîtrise pas les théories auxquelles il adhère. Raisonnement de fausse logique. Toute l’ironie du faux rapport logique dans « des cédrats confits et des pistaches ». Il n’a jamais été philosophe car il n’a pas aptitude à modifier son jugement en
fonction des informations qu’il enregistre.

Ce que j’ai le plus apprécié dans Candide, c’est que ce livre présente un intéressant contraste entre la simplicité du
récit et la richesse symbolique du contenu.

Candide est un conte et, de ce fait, le lecteur aurait pu s’attendre à un dénouement heureux. Mais c’est un conte philosophique. Candide trouve une paix dans un choix de vie supportable bien loin des rêves de l’Eldorado. Ce choix est un aboutissement de tout un parcours et bien que ce ne soit pas parfait, il ne dépend plus des caprices du sort.

Le héros se libère des illusions du monde de l’enfance pour devenir enfin adulte et autonome ce qui est le projet même des lumières.

En 1773, Voltaire écrit à D’Alembert : « Si j’ai encore quelque temps à vivre, je le passerai à cultiver mon jardin comme
Candide. J’ai assez vécu comme lui ».