Noyer une petite contrariété dans le firewhisky - Rodolphus

Tisiphone était assise au comptoir de zinc du pub ; son regard était perdu dans les reflets ambré de son firewhisky. Une ride de contrariété était apparue sur son front. Elle serrait un peu fort son verre : les jointures de ses doigts avaient blanchies. Une des nombreuses choses qu'elle détestait était qu'on la fasse attendre et s'était ce qui était en train d'arriver. Elle avait passé une commande importante à l'apothicaire de l'allée des Embrumes, il n'y avait que là-bas qu'elle pouvait se fournir en dards de manticores pilés et le hibou confirmant la commande lui avait assuré que tout serait prêt ce lundi à 14h ... Or en se présentant à l'heure dite, le vendeur avait été désolé d'annoncer à Tisiphone que la commande n'était pas tout à fait terminée, mais que tout le serait une heure plus tard. Maugréant contre l'incompétence, elle était sortie de la boutique. Une heure à tuer ... elle n'avait guère envie de retourner chez elle pour revenir ... et encore moins envie de faire les boutiques. Ce n'était pas vraiment son style que de faire les magasins.
La solution lui était apparue évidente, sous les traits d'un troll en métal se balançant mollement dans le vent. Le "Troll Barbu" serait une alternative à ce contretemps.
Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus mis les pieds dans le pub à la façade miteuse. Elle poussa la porte et entra. Malgré des aspects extérieurs peu engageant, l'intérieur était plus ... chaleureux... Le sol carrelé était impeccable de même que les petites tables disposées ça et là. Les murs étaient recouverts de photos, d'affiches, toutes ayant comme point commun les trolls... L'endroit portait bien son nom. Le patron des lieux qui portait une longue barbe avait salué brièvement la sorcière et avait pris sa commande.

Tisiphone avala une gorgée d'alcool. Le liquide ambré lui brûla la bouche puis la gorge, mais cela faisait du bien. Elle leva les yeux vers la pendule. Encore trois quart-d'heure à patienter ... Tiens, elle devrait peut-être demander une facture ici, histoire que l'apothicaire lui rembourse ce désagrément ...

La porte du pub s'ouvrit et des pas résonnèrent, Tisiphone ne se retourna pas, toujours occupée à pester intérieurement ...

L'Allée des Embrumes... Un haut-lieu pour trouver ce qu'on ne pouvait trouver nulle part ailleurs. Ainsi, Rodolphus venait ici assez fréquemment, pour découvrir de nouveaux artefacts maléfiques, pour en faire réparer ou pour essayer de trouver des choses intéressantes, y compris des renseignements.
Il arrivait, cela dit, que l'homme ne trouvât pas son bonheur dans l'Allée des Embrumes. Dans ces cas-là, il allait boire un petit whisky Pur Feu avant de rentrer au repaire, voir si le Lord n'avait pas besoin de ses services. Et s'il était libre, alors il essayait toujours d'obtenir les faveurs de sa récalcitrante épouse... avant de se retrouver à faire la bringue avec Rabastan, qui, lui, était toujours partant pour boire et torturer.

Aujourd'hui était un jour sans. Rien d'intéressant dans les bijoux maléfiques, rien non plus du côté des livres de Magie Noire médiévale. Rodolphus était bredouille à ce niveau-là. Pourtant, quelque chose lui disait qu'en cherchant bien, il pouvait trouver un objet exceptionnel.
Peut-être plus tard. L'heure était venue d'aller prendre son whisky. La routine de la vie "visible" du Mangemort était réglée comme un métronome et il savait très bien que les seules possibilités de changement étaient incarnées en une seule et même personne : son frère cadet. Un jour, il faudrait peut-être lui dire ce qu'il en était vraiment de sa relation de couple...
Mais cette idée n'avait pas grand-chose pour plaire à Rodolphus, car cela signifierait qu'il avait fini par accepter qu'il était amoureux d'une femme qui ne l'aimait pas. Et cette acceptation serait une forme de faiblesse. Faiblesse que Lestrange abhorrait... Oui, on tournait un peu en rond, là...

Autant pousser la porte du Troll Barbu. Ce pub n'avait pas grand-chose pour plaire, lui non plus. A part peut-être la propreté. Mais c'était là qu'on pouvait trouver l'OldFire le plus vieux, et donc le meilleur... Rodolphus entra et fit quelques pas dans le pub, faisant un bref tour d'horizon, puis il fit un geste pour le barbu derrière le bar et alla s'installer à une table, seul.

"Un double whisky, sec."

Le verre de Tisiphone tintait légèrement quand elle le faisait tourner,les glaçons s'entrechoquaient. Elle reprit une rasade de whisky et pour un peu, elle aurait presque laissé échapper un soupir. La personne qui était entrée se trouvait à présent non loin d'elle. Une voix résonna, commandant un whisky et Tisiphone sursauta légèrement. Cette voix, elle la connaissait. Elle tourna légèrement la tête et observa quelques secondes le sorcier qui était arrivé. Elle eut alors un léger sourire.

- Rodolphus, l'interpela-t-elle. Bonjour ...

Tisiphone n'était pas du genre à avoir cinquante mille amis, non elle était plutôt du genre solitaire. Mais le Mangemort était une des rares personnes que la sorcière appréciait et à qui elle pouvait donner sans problème le titre d'ami. Ils avaient à leur actifs plusieurs missions en commun et elle espérait refaire équipe avec lui.
Enfin pour l'heure, le moment n'était pas de torturer des moldus ou de faire souffrir quelques sorciers à la solde du vieux Dumbledore.

- Comment vas-tu ? lui demanda-t-elle en plantant son regard océan sur lui.

Il était vrai que la Mangemort n'avait pas vu Rodolphus depuis quelques temps ... Et elle était contente que le hasard lui ait fait tomber dessus.

Dans certains cas, on a envie de se taper le front contre un mur pour n'avoir pas fait une entrée plus réfléchie dans un lieu. C'est ce qui traversa l'esprit de Rodolphus lorsqu'il vit Mrs Argos, Tisiphone de son prénom, l'interpeler et le saluer. Bon sang, mais s'il avait été un rien plus attentif, il l'aurait vue et n'aurais pas eu l'air d'un rustre durant quelques secondes. Enfin, il s'agissait d'une amie. Elle comprendrait très certainement que l'homme pût avoir autre chose en tête.

"Tisiphone, il y avait longtemps..."

Se levant, le mangemort invita son amie à prendre place à sa table.

"Installe-toi, je te prie... Puis-je t'offrir un verre?"

Eh oui, même les mangemorts peuvent être polis et galants lorsqu'ils le souhaitent. Rodolphus appréciait suffisamment Mrs Argos pour se comporter avec elle comme un véritable gentleman. L'homme ne souriait pas, mais on pouvait lire dans son regard le bonheur qu'il ressentait à croiser ici son amie, par le plus grand des hasards.

"Mmmh, ça va plutôt bien. Je n'ai rien trouvé d'intéressant aujourd'hui, mais je ne cherchais rien de spécial. Et toi, comment vas-tu? C'est rare de te voir dans ce pub..."

C'était rare, mais ça lui faisait plaisir. Rodolphus lui-même n'étant pas un grand habitué des lieux, sa remarque était légèrement ironique. Mais soit, le plus important, c'était de profiter de cette rencontre.

Tisiphone inclina doucement la tête quand Rodolphus l'invita à prendre place à sa table, ce qu'elle accepta sans hésiter. Elle s'installa sans le quitter des yeux.

- Avec plaisir, répondit-elle à sa proposition de lui offrir un verre.

D'autant plus qu'elle venait de remarquer que son verre était vide. Elle esquissa un rapide sourire à sa remarque ; il était vrai qu'elle ne venait que rarement ici, mais la force des choses avait fait qu'elle avait franchi la porte du pub et que de la contarieté était née une heureuse rencontre.
Une mèche de ses cheveux était tombé sur son regard,elle la chassa avec un petit geste vif, la remettant en place derrière son oreille.

- Je vais bien, répondit-elle à sa question.

C'était l'entière vérité. Sa dernière mission s'était passée on ne pouvait mieux ; elle avait eu beaucoup de satisfaction à voir se tordre de douleur et s'était délectée de leurs cris de douleur.
Elle sortit de ses pensées et reprit le fil de la discussion.

- J'avais quelques courses à faire,expliqua-t-elle. Mais tout ce que j'avais commandé n'était pas prêt, me voilà donc obligée d'attendre ici ...

Elle s'interrompit quelques secondes avant d'ajouter.

- Charmante compagnie ... Je suis contente que nous nous soyons rencontrés ...

Certains hasards sont heureux. C'était le cas de la rencontre de Tisiphone. Croiser une femme comme elle, une telle amie, au détour d'un chemin, c'était un véritable bonheur. Oh, bien sûr, Rodolphus n'était pas de ceux qui chicanaient avec le hasard. Il préférait les planifications précises, où le hasard n'avait justement pas son mot à dire... mais cette fois-ci, il passait le récurvite : s'il avait agi en respectant un horaire minutieusement minuté, un trajet précis et sans place laissée à la bonne volonté de Salazar, il n'aurait pas pu croiser Mrs Argos. Alors, bon, pour une fois...

"Il faut croire que nous sommes tous deux dans une situation fort semblable en ce cas, Tisiphone..."

Rien ne la distinguait des autres femmes, pourtant, elle était aussi fraîche et tendre qu'un printemps. Avec une amie comme elle, le temps pouvait s'arrêtait. Ses longues boucles sombres donnaient un éclat triomphant à son élégance. Sans compter sa grâce naturelle... Oui, Tisiphone n'était pas n'importe qui et un regard aiguisé pouvait le remarquer. Et personne ne pouvait savoir, en dehors des mangemorts bien sûr, qu'au combat, cette main douce et fine pouvait torturer et tuer sans relâche. Rodolphus esquissa un petit sourire.

"Whisky pour toi aussi ?"

Il y avait quelques années déjà que tous deux se connaissaient. Les petites habitudes comme cela - le whisky Pur Feu du meilleur cru -, cela restait gravé dans la mémoire.

"Veux-tu que je t'aide à faire regretter à ce commerçant de et faire attendre en ma compagnie ?"

Le petit sourire de Lestrange s'étira pour former un rictus mauvais. L'idée même de s'amuser un peu avec un commerçant à qui on avait quelque chose à reprocher, ça avait plus de charme que la perspective de rentrer retrouver Bellatrix et son absence totale de sentiments à l'égard de Rodolphus.

Tisiphone acquiesça à la première remarque de Rodolphus. Pour une fois le hasard faisait bien les choses. Car habituellement quand il lui prenait de se mêler des affaires, cette fichue destinée offrait des surprises plutôt malheureuses qui prenait parfois les traits d'Aurors indésirables qui débarquaient au milieu d'une mission et venaient mettre le grain de sel dans une mécanique pourtant bien huilée.
Le sourire qu'esquissa Rodolphus en arracha un petit à la Mangemort.

- Un whisky, ce sera parfait, merci,répondit-elle.

Rodolphus proposa alors à la sorcière de s'amuser un peu avec l'apothicaire qui avait osé la faire attendre. La sorcière laissa échapper un petit rire. Elle fit les gros yeux au Mangemort.

- Oh ... s'exclama-t-elle.Que c'est vilain de me tenter ainsi !

Elle rit de nouveau. Tisiphone secoua doucement la tête faisant voler ses longues mèches noires autour d'elle.
Il était vrai que ce que venait de proposer Rodolphus était des plus tentants ... Une lueur mauvaise passa dans l'océan de son regard. Elle regarda le sorcier avec sérieux.

- Le pire ... c'est que ma baguette commencerait presque à rouiller, ajouta-t-elle d'un ton presque désinvolte.

Oui, Rodolphus était la tentation incarnée ...

Rodolphus commanda un autre whisky, pour son invitée, cette fois. Le sourire qu'elle avait eu était rassurant, d'une certaine manière : il signifiait qu'elle était tout aussi heureuse de le voir que lui l'était de la voir, elle. On se contente parfois de peu, c'est vrai...
Le barman ne se fit pas trop attendre. Il devait être trop heureux d'avoir deux clients pour son whisky, dès lors, il apporta presque illico les deux boissons, car, bizarrement, le verre que Lestrange avait commandé avait un peu traîné en route. Décidément, il y avait des choses qui échapperaient toujours au Mangemort dans la gestion de ces débits de boissons.

Mais soit, là n'était pas la question. Et on ne faisait pas attendre une dame. Levant son verre devant lui, Rodolphus porta un petit toast :

"Eh bien, je propose de boire à la santé du hasard... et à celle du temps qui passera, je l'espère, plus vite maintenant."

Depuis le temps qu'ils se connaissaient, elle et lui, il y avait entre eux cette complicité qui, bien qu'elle n'ait rien à voir avec celle que Rodolphus entretenait depuis toujours avec Rabastan, était suffisamment développée pour qu'un humour léger ait sa place dans la conversation. Et Tisiphone rayonnait lorsqu'elle riait. Cela la rendait superbe. N'importe quel homme devait pouvoir le remarquer.

"Tu sais bien que je suis un vilain garçon..." Il sourit et but une petite gorgée de whisky. "Si tu veux un peu d'action, je peux passer te chercher lorsqu'on ira, avec Rabastan, taquiner le moldu..."

Le barman arriva avec les deux boissons, puisqu'apparemment la commande de Rodophus avait été perdue en route ...
L'homme posa les verres sur la table et s'en retourna derrière son comptoir qu'il se mit à astiquer avec une certaine ferveur. Il utilisait la manière moldue ... Quelle perte de temps, il aurait été tellement facile d'ensorceler le torchon ... mais non ... Enfin, cela n'intéressait pas Tisiphone. Elle avait toute son attention tournée vers son ami. Le sorcier leva alors son verre pour porter un toast et la Mangemort l'imita. Elle avala une gorgée et reposa son verre devant elle, l'entourant de ses mains. Son regard se posa sur Rodolphus quand il lui répondit et quelque chose de pétillant s'illumina dans les yeux océan de la sorcière. La proposition du Mangemort était des plus alléchantes et intéressantes.
Elle hocha doucement la tête. Oui Rodolphus était vraiment un vilain garçon !

- Oui, tu l'es bel et bien ... tu es en train de me le prouver une nouvelle fois ! sourit doucement la sorcière.

Elle fit mine de réfléchir quelques secondes, même si sa décision était déjà prise.

- Eh bien ... Comment refuser pareille invitation ... Ce serait avec grand plaisir !

D'autant plus qu'elle avait trouvé dans un vieux papyrus la mention d'un très ancien sortilège qu'elle ne connaissait pas ... Très douloureux disait le texte ... Ce serait l'occasion parfaite pour le tester.
Une lueur d'excitation et d'envie s'était allumée dans son regard.

Les deux boissons une fois à table, les deux Mangemorts trinquèrent et purent commencer à savourer le délicieux liquide ambré. Ici, le Pur Feu avait toujours au moins quinze ans d’âge. Il était difficile de dire exactement l’âge de celui-ci… et le barman n’indiquait pas souvent les dates… à croire qu’il faisait des mélanges de ses cargaisons… mais soit, le résultat donnait une boisson qui avait de la cuisse et qui était agréable sur le palais.
Encore plus agréable, bien évidemment, lorsqu’il était dégusté en une compagnie tout aussi agréable. Si pas plus : le whisky a généralement peu de conversation et manifeste un entrain très très discret lorsqu’on lui propose d’aller « taquiner le moldu » comme on pourrait proposer à un gosse d’aller taquiner le goujon dans la rivière. Le genre de choses que Rodolphus ne faisait pas, bien sûr… Non mais, vous le voyez à la pêche à la ligne, vous ? N’importe quoi… Mais revenons à l’instant présent. Tisiphone, donc, avait tout de la compagnie agréable.

"Je ne sais pas encore quand on pourra faire cela, mais Rabastan et moi avons une furieuse envie de nous amuser un peu… Je suis certain qu’il appréciera ta présence avec nous."

Certain, bien sûr. Rabastan aimait lorsque des femmes les accompagnaient, Rodolphus et lui. Tandis que Rodolphus s’adonnait, tout sérieusement, à sa tâche, en homme marié, calme, austère et responsable, le cadet s’amusait, dans une acception très large du terme. Cela dit, Rodolphus était certain que son cadet avait suffisamment de respect pour les amies qu’ils avaient en commun pour ne pas déconner avec elles.
Une autre gorgée de whisky et Rodolphus s’approcha un peu plus de son interlocutrice :

"Le Seigneur n’est pas au courant, il s’agit juste d’une petite sortie entre amis, disons… mais j’ai la ferme intention de faire passer un sale quart d’heure à quelques politiciens moldus dont les idées me semblent calquées sur celles du Maître. J’ignore comment ces bouffons ont pu avoir accès à des informations comme celles-là, mais certains d’entre eux désirent éradiquer une certaine tranche de leur population. S’ils font ça, on aura moins de distractions, non ? Garder quelques moldus pour en faire nos esclaves, voilà ce qu’il faut faire."

Sans le savoir, Rodolphus parlait là de l’extrême-droite. Le sorcier n’aimait pas que les idées de Lord Voldemort puissent être reprises par des moldus. Il n’aimait pas non plus l’idée que des moldus puissent éliminer d’autres moldus, réduisant ainsi le pourcentage de moldus pouvant servir d’esclaves et de jouets aux Mangemorts.

Tisiphone esquissa un petit sourire. Elle pouvait aisément comprendre que les deux frères aient envie de s'amuser un peu. Elle même avait la baguette un peu rouillée et se divertir un peu n'était pas de refus. Il n'y avait rien de tel pour se détendre un peu que de torturer un ou deux moldus. Les voir se tordre de douleur sous un doloris ou autre sort tout aussi douloureux était un spectacle réjouissant de même que leur hurlements de douleur était une musique des plus agréables.
La sorcière posa un coude sur la table et appuya sa tête dans sa paume de main.

- En tout cas, vous pourrez compter sur moi ! déclara Tisiphone. Peu importe la date.

La Mangemort était à peu près certaine que sa présence ne dérangerait pas le frère de Rodolphus. Elle voulut d'ailleurs lui demander de ces nouvelles, mais le Mangemort ne lui en laissa pas le temps, puisqu'il enchaîna, parlant de cibles potentielles.
Tisiphone l'écouta avec attention. Elle secoua la tête : de la vermine qui prenaient les idées du Maître ? Eh bien ... C'était une bonne raison pour s'en prendre à eux !
La suite la laissa un peu songeuse : si même les moldus se mettaient à s'entretuer entre eux, comme le disait Rodolphus ils n'auraient pu assez de cobayes pour s'amuser ... Où allait le monde ?

- Voilà donc une bonne raison pour diriger nos sorts vers eux ...conclut la sorcière.

Elle darda alors son regard sur le Mangemort.

- En parlant de Rabastan, comment va-t-il ? Cela fait longtemps que je ne l'ai vu ... demanda-t-elle soudain.

Oui, cela faisait un certain temps ... peut-être même trop longtemps. Il faudrait remédier à cela rapidement.

Rodolphus était un homme de parole, pour la plupart des situations. Ainsi, en proposant à Tisiphone un peu d'amusement bon enfant, il avait vraiment à l'esprit de convier la Mangemorte à une telle activité. Et si Rabastan était partant, cela promettait d'être une fameuse course aux moldus. Lestrange voyait cela d'ici : un tableau de chasse chacun, avec une récompense pour celui (ou celle?) qui en aurait attrapé et torturé le plus. Charmante idée, n'est-ce pas?
Tisiphone souriait. Elle appréciait certainement l'invitation. Comment aurait-il pu en être autrement?

"Bien, je te tiendrai au courant, alors."

L'homme sourit à son tour. Oui, ce projet était particulièrement tentant. Et la seule idée de le réaliser avec une amie comme Tisiphone avait de quoi encourager.
D'ailleurs, Mrs Argos était d'accord avec Lestrange sur le principe qu'il fallait éviter que les moldus ne reprennent à leur compte les idées du Maître et qu'ensuite ils s'autodétruisent. Logique.

Rodolphus opina et porta de nouveau son verre à ses lèvres tandis que la Mangemorte lui demandait des nouvelles de son frère.

"Plutôt bien. Toujours à l'affût de la moindre petite possibilité d'action, tu le connais. J'ai passé plus de temps avec Bella qu'avec lui, donc, il s'est forcément trouvé une occupation..."

Le regard bleu de Tisiphone n'avait pas lâché le Mangemort. Elle attendrait donc avec impatience qu'il lui fasse signe pour ce petit divertissement.

- Parfait, alors, sourit-elle. J'attendrai que tu me fasses signe ...

Cela promettait d'être une sortie des plus distrayantes !

Elle l'observa porter son verre à ses lèvres et Tisiphone l'imita en avalant une gorgée d'alcool. Une douce chaleur réchauffa la sorcière.
La Mangemort eut de nouveau un petit sourire à la réponse de Rodolphus au sujet de son frère.

- Je n'en doute pas ... Le connaissant il a dû effectivement trouver quoi faire ...sourit Tisiphone.

Un peu songeuse, elle tourna la tête un instant et observa la rue de derrière la vitre sale du pub. Il s'était remis à pleuvoir, une bruine fine aux gouttes qui rebondissaient sur les pavés de l'Allée des Embrumes. Il n'y avait qu'en Angleterre où l'on pouvait trouver pareil temps même en été. Pendant quelques secondes, elle retourna en arrière, loin de la Grande Bretagne. Retrouver le temps d'une pensée le chaud soleil de Grèce, le bleu étincelant de la mer Egée, le blanc et bleu de la petite maison à flanc de falaise. Mais ce n'était jamais bon de revenir en arrière dans certains souvenirs. Tisiphone s'arracha à la contemplation de l'extérieur. Elle avala un peu rudement une nouvelle gorgée de firewhisky, histoire d'enfouir une nouvelle fois tout ceci au plus profond d'elle.

Les yeux d'un bleu océan qui étaient rivés sur lui ne dérangeaient en rien Rodolphus. Ce regard-là, il l'avait maintes et maintes fois vu... et jamais il ne verrait autre chose dans ce regard que ce qu'il y avait toujours vu : outre la lueur douce de l'amitié, il y avait là l'étincelle de la soif de vengeance. Vengeance pour laquelle Lestrange s'était engagé à aider Mrs Argos. Toutefois, pour que vengeance il y ait, il était nécessaire de se maintenir en forme.

"Tu peux compter sur moi, ne t'en fais pas."

De toute manière, ce n'était pas Bellatrix qui allait empêcher Rodolphus de s'amuser un peu. Elle-même ne faisait pratiquement que cela, au grand dam de son mari, d'ailleurs, qui ne la voyait quasiment jamais et qui en était réduit à espérer qu'elle revienne, à rêver qu'elle lui accorde un jour l'intérêt que lui-même lui portait et, enfin, à continuer de croire qu'elle pourrait peut-être un jour au moins essayer d'être une véritable épouse... Mais ce n'étaient là que des désirs qui ne pourraient jamais être assouvis... des désirs qui faisaient de Rodolphus Lestrange un homme qui ne serait jamais vraiment heureux.

Tandis que le liquide ambré et parfumé lui coulait dans la gorge, le Mangemort songeait à tout cela. Souvent, il se demandait comment il était censé réagir, ce qu'il était censé faire, dire ou penser... et jamais il ne trouvait de réponse.
Jusqu'ici, Rodolphus n'avait même pas osé aborder le sujet... car, il faut bien dire ce qui est, un tel sujet est de ceux qui peuvent facilement entacher la réputation d'une famille.

"Dis-moi, Tisiphone... Que penses-tu de ma femme ?"

La question tomba comme cela, sans que le sorcier n'ait eu la moindre chance de la retenir. Il avait besoin de réponse et... qui est mieux placé pour comprendre une femme qu'une autre femme ?

Si Tisiphone avait été ailleurs quelques instants, elle n'était pas la seule, Rodolphus semblait lui aussi perdu dans ses pensées. Le silence s'installa quelques instants avant d'être rompu par une question qui, il faut bien l'avouer, surprit Tisiphone. Etonnée, elle regarda le Mangemort assis en face d'elle sans broncher. Elle baissa le regard et observa un moment son verre qu'elle faisait tourner entre ses mains, le liquide ambré clapotait. Elle avala la dernière gorgée et reposa son verre vide devant elle. La sorcière finit par reposer son regard sur Rodolphus.

- Ce que je pense de Bellatrix ... finit-elle par répéter.

C'était une bonne question qu'il lui posait là. Tisiphone reprit la parole d'un ton calme.

- C'est une sorcière hors-pair, très douée dans le maniement de sa baguette, impitoyable et redoutable, d'une grande fidélité à la Cause ...

La sorcière fit une pause, observant avec attention son interlocuteur.

- Mais je suppose que ce n'est pas d'un point de vue "professionnel" que tu attends mon avis ... poursuivit Tisiphone.

Elle laissa échapper un petit soupir.

- Il y a des gens faits pour le mariage et d'autres non ... Et j'ai l'impression que Bellatrix fait partie de la seconde catégorie ... Il me semble qu'elle est toujours ou en mission ou fourrée auprès du Maître ... Elle n'est jamais là, n'est-ce pas ? Elle n'est pas du genre à rester bien sagement à la maison ni à se cantonner à des tâches plus ... banales ...

Tisiphone se tut. Elle n'osa rien ajouter de plus. Son regard restait planté sur Rodolphus. Elle finit par détourner les yeux et les posa sur la table, elle observa un instant les nervures du bois. En suivant une circonvolution, son regard fut accroché par un éclat lumineux reflété dans le verre du sorcier. Il était presque vide. Elle tourna la tête vers le barman et lui fit signe de ramener la même chose, ce qu'il fit rapidement.

L'homme vida son verre après avoir entendu les paroles de son amie. Et voilà... Tisiphone venait de confirmer ce que Rodolphus craignait. Quelle idée, aussi, de tomber amoureux de sa femme, non ? Enfin, voilà, maintenant, c'était clair, Bellatrix n'était pas faite pour le mariage et n'allait jamais vouloir divorcer pour autant? Pourquoi? eh bien, tout simplement parce que Lestrange l'avait accueillie chez lui, qu'il lui avait tout donné et qu'elle avait très certainement besoin de tout cela. Sinon, reviendrait-elle au manoir après ses escapades ?

"Je me fiche pas mal qu'elle ne fasse pas les tâches ménagères, les elfes sont là pour ça. Non, ce qui me dérange, c'est qu'elle est ma femme... et qu'elle n'a pas l'air de le savoir."

Mrs Argos fit un signe au barman qui apporta deux autres verres de whisky Pur Feu. Alors, c'était très simple. Il fallait trouver un moyen pour que Bellatrix l'aimât à son tour. Mais forcer l'amour, c'était pire que tout, non? Au moins, Bella pour le moment ne le détestait pas, elle ne l'adorait pas, certes, mais elle s'entendait suffisamment bien avec lui pour ne pas lui sauter au visage toutes griffes dehors dès qu'elle le voyait. Et n'était-ce pas ce qu'elle ferait s'il essayait de la rendre amoureuse de lui par magie ?

"Vous êtes compliquées, vous, les femmes..." termina-t-il avec un demi-sourire désabusé. "Et le pire, c'est qu'on en redemande."

Oui, le "je t'aime", "moi non plus", on ne pouvait pas s'en passer. Rodolphus se sentait mal quand il savait sa femme loin de lui, mais il ne se sentait pas mieux lorsqu'elle était à ses côtés. C'était bizarre, tout cela. Pas moyen d'avoir quoi que ce soit de clair. Une femme, ça ne fonctionnait pas du tout comme un homme.

Oui, Rodolphus avait raison, les elfes étaient là pour les tâches ménagères. Mais c'était tout de même à la femme de superviser tout cela ... Elle eut un petit sourire à la remarque du Mangemort. Soit les femmes étaient compliquées ... mais que dire d'eux, les hommes ...

- Et vous, alors ? rétorqua-t-elle. Nous sommes peut-être effectivement compliquées mais vous ... Vous êtes une énigme à vous tous seuls ... jamais satisfaits, toujours à en demander encore plus ... On ne sait jamais sur quel pied danser avec vous !

Tisiphone secoua doucement la tête.

- A vous écouter parfois, il faudrait toujours être impeccable du matin au soir et du soir au matin. Etre réactive au pied du lit, déjà apprêtée prête à satisfaire le moindre petit désir dans la seconde !

Il ne fallait absolument pas voir dans les paroles de Tisiphone un quelconque réquisitoire contre Rodolphus. La sorcière faisait juste un constat. Mais comme partout, il y avait aussi des exceptions.

- Enfin ...

Elle s'interrompit là, ce n'était pas non plus le but de la discussion. Elle récupéra un des verres pleins et reprit son petit manège de tout à l'heure, faisant tourner le liquide à l'intérieur.
La situation de Rodolphus ne devait pas être évidente ... Un mariage tout juste existant sur un bout de papier et non dans les faits ...

- Une foutue invention que le mariage ... finit par marmonner Tisiphone. Avant d'être marié, c'est le grand inconnu qui fait peur avec la sempiternelle question "vais-je trouver quelqu'un", une fois qu'on l'est enfin, les interrogations ne font que grandir et te dévorer ... et quand il n'existe plus ... Ce n'est pas pour autant que tu te portes mieux ... Ca te laisse un goût amer, un vide qui ne sera plus jamais comblé ...

Elle détourna la tête un instant. Ca pour le vide, elle s'y connaissait. Ceux qui disaient qu'on finissait par s'y habituer n'y connaissait rien. Ce vide, il hantait Tisiphone jour et nuit.
Elle regarda de nouveau Rodolphus et avala une gorgée de firewhisky. Le verre retrouva le contact de la table un peu brusquement.

- Par moment, tu te dis qu'au final, tu aurais été plus heureux sans le mariage. Pas de souffrance, pas cette envie de tout oublier ni ce sentiment de culpabilité quand tu commences enfin à oublier ...

Le regard que Tisiphone darda sur Rodolphus devint un peu plus perçant.

- L'oubli ... répéta-t-elle.

Il lui sembla que la conversation avait un peu déviée, qu'elle s'était un peu laissée emportée.

- Tu ... Tu ...

La question hésitait à sortir. Après tout, c'était une question des plus indiscrètes ...

- Tu n'as jamais pensé aller voir ... ailleurs ... Oublier le temps d'une nuit ... tout ... tout ceci ... Ca a du bon parfois, crois-moi ...

Certes, ce n'était pas du tout la même situation, mais, oui, cela avait du bon d'aller se réfugier dans les bras d'un autre ... mais la claque au réveil était parfois plus ... rude. Tisiphone l'avait bien appris par le passé, quand elle allait chercher dans les bras de Rabastan - entre autre - un peu de réconfort, un peu d'oubli. Mais les lendemains étaient des plus douloureux, car en plus venait se greffer le goût amer de la trahison ...
Elle ponctua sa phrase par une nouvelle rasade de whisky.

Mmmh, vu sous cet angle, le fait semblait, en effet, un peu différent. Mrs Argos avait raison, Rodolphus en était sûr. Alors, ce devait être tout simplement une question de point de vue. Rien n’était simple, dans tout cela. Et le whisky que sirotait le Mangemort pendant que lui parlait son amie n’était pas non plus une aide très pertinente pour mieux comprendre. Soit… il y a sans doute des mystères qu’il vaut mieux ne pas essayer de résoudre…

"Bizarrement, ça me semble la même chose des deux côtés… "

A quelques détails près, c’était la même chose. Le même principe, en tout cas, la même recette… Un peu comme quand on fait une salade de fruits et qu’on met les bananes avant les pommes ou les kiwis : au final, ça ne changeait rien au goût, et personne ne savait exactement pourquoi.
Mais voici que Tisiphone continuait sur le sujet du mariage et de ses difficultés. Là encore, elle avait raison, Lestrange le savait… il le sentait. Lui n’était pas veuf, mais il avait parfois l’impression d’être marié à un courant d’air. Pendant que son amie parlait, le Mangemort faisait, lui aussi, tournoyer le liquide ambré dans son verre, laissant son regard se perdre dans les reflets qui s’étalaient sur la table. Et quand il sentit la voix de Mrs Argos se faire plus hésitante, il leva les yeux vers les siens.

"Arrête, ne te force pas à me dire des choses qui te font mal… Nos situations sont différentes, Tisi, et je me rends compte que la souffrance n’est finalement pas tellement éloignée…"

Ce genre de paroles était difficile à sortir. Tout simplement parce que ce n’était pas le genre de choses que Rodolphus avait l’habitude de dire. Oh, bien sûr, il les pensait, mais de là à les formuler… il y avait un monde de décalage.

L’homme porta son verre à ses lèvres, en prit une gorgée qu’il garda quelque temps en bouche, pour laisser la saveur du Pur Feu l’envahir, par le biais du goût, mais aussi du parfum. Boire un whisky comme on savoure une praline au chocolat… c’était une manière de faire ressortir toutes les subtilités de l’alcool.

Cependant, le sorcier ne put se livrer bien longtemps à ce petit exercice des sens… il avala sa gorgée de whisky lorsqu’il entendit les dernières paroles de son amie Mangemorte.

"Tromper Bella ? Je… oui, j’y ai pensé, mais…"

Était-ce une forme de peur qui le retenait ? Rod’ n’aurait su le dire. Il n’avait pas osé franchir le pas jusqu’ici, parce que rien que l’idée de prendre une maîtresse lui insufflait un sentiment de culpabilité.

"Tu as essayé, toi ?"

Spoiler:

Tisiphone inspira un peu plus fort. Une nouvelle fois, elle avait détourné vers la fenêtre, perdant son regard à l'extérieur sans pour autant voir la bruine qui faisait se presser les rares sorciers à être encore dehors.
La voix de Rodolphus lui parvint comme de très loin. Oui, cela faisait mal d'évoquer cela, mais en même temps, cela faisait également du bien à Tisiphone. Deux sentiments très opposés qui se mêlaient en elle. Les années n'avaient pas arrangé sa peine ni même ne l'avaient amoindrie. Cela faisait toujours aussi mal qu'au début. La sorcière avait simplement appris à vivre avec. Un fardeau de plus à supporter ...
Elle retourna la tête vers Rodolphus et lui sourit. Le surnom qu'il avait employé, Tisi, peu de personnes l'employait et cela l'avait un peu surpris de l'entendre dans la bouche du Mangemort. Elle fit un petit geste désinvolte de la main pour lui signifier que cela allait.

- Je ne me force pas ... répondit-elle simplement.

Le sorcier avait raison, dans le fond, leurs souffrances étaient pareilles : dans les deux cas, c'était le vide et l'absence qui faisait mal. Un instant elle se demanda comment elle aurait réagi si elle avait été dans le cas de Rodolphus. Une réaction vive, sans nul doute, mais laquelle ?

Elle regarda alors le sorcier sans parler. Ainsi l'idée de tromper sa femme l'avait effleuré ... Mais c'était tout un monde que d'en avoir l'idée et de franchir le pas ...

Tisiphone secoua alors la tête.

- Tu l'as dit toi-même tout à l'heure. Nos situations sont différentes. A l'époque ... je ... je n'en éprouvais pas le besoin. Tout allait bien, alors pourquoi aller voir ailleurs pour avoir ce que je pouvais obtenir chez moi ...

Elle s'interrompit quelques secondes.

- C'est ... drôle ... C'est pourtant l'impression que j'ai ... Le tromper ... A chaque fois que je suis avec un autre homme ...

Elle secoua la tête. Une nouvelle fois la conversation avait dévié sur elle.

- Et ... qu'est-ce qui t'empêche de franchir le pas ? se décida-t-elle à demander.

Qui a dit que la véritable amitié ne pouvait exister entre un homme et une femme ? Qui que ce soit, il avait tort. C’était évident. Aux yeux de Rodolphus, Tisiphone était une amie, une amie sans faux-semblants. Elle était jolie, certes, mais cela ne troublait pas le sorcier. Nul désir trouble, nulle envie folle. Et puis, elle était la veuve de Daëron qui était lui-même un excellent ami de Rodolphus. Vous savez, même chez les Mangemorts, il y a des choses qui ne se font pas.
Il y eut un silence durant lequel Mrs Argos laissa son regard se perdre au dehors, tandis que Lestrange, lui, laissait le sien se plonger dans l’ambre liquide de son verre.

De fil en aiguille, une rencontre hasardeuse s’était muée en conversation légèrement gênante. Azkaban avait bien amoché la partie prévenante et délicate de Rodolphus… De fait, à force de vivre seul, de fermer son esprit à toute tentative d’intrusion des Détraqueurs et d’envisager la vie comme un petit espace gris et clos, entre quatre murs ternes, l’homme avait fini par perdre certaines habitudes, surtout parmi celles qui constituaient les convenances et les civilités.

Le Mangemort commençait à se dire qu’il finirait étouffé par sa maladresse ou sa trop grande franchise… C’est ça, le malheur, quand on est quelqu’un de loyal : les gens qui vous sont chers vous voient sous votre vrai visage, vous ne prenez ni la peine ni le risque de leur mentir, car le mensonge est bien souvent une trahison… et que vous ne trahiriez les vôtres pour rien au monde.
Cependant, Tisiphone faisait partie de ces personnes qui pesaient bien leurs paroles avant de répondre, elle était dotée de cette sorte de sagesse que l’homme, parfois, admirait. C’était sans nul doute quelque chose qu’on pouvait considérer comme un point commun, bien que la modestie poussât Rodolphus à parler plutôt de caractère posé et réfléchi lorsqu’il le fallait, pour son cas personnel.

Or, donc, Mrs Argos finit par répondre à Rodolphus. Celui-ci releva le nez de son verre pour regarder son interlocutrice qui venait de soulever le nœud du problème, comme on lève un voile sur un mystère quelconque.

"J’imagine… En fait, non, je sais ce que c’est… Rien que l’idée d’être avec une autre femme que Bella me met mille questions en tête… Pas avec toi, bien sûr, mais un seul regard, parfois, et… je me sens coupable…"

Qu’est-ce qui avait empêché l’homme d’aller voir ailleurs ? Il avait quarante-cinq ans, une fortune plus que considérable et une terrible réputation. Très certainement le genre de fantasme de la sorcière moyenne rêvassant à ces Mangemorts évadés d’Azkaban, mal coiffés et dont les yeux, devenus gris, avaient une telle profondeur sur les photos publiées dans la « Gazette du Sorcier ». Évidemment, se taper un Mangemort évadé, c’était une tout autre aventure que d’avoir un gros câlin mou et quasiment baveux d’un mari qui passait sa vie derrière un bureau ou un comptoir… Bref, Rodolphus était bien conscient que ce n’était pas faute d’occasions. Le souci venait de lui et il était impossible d’y trouver une cause extérieure.

"C’est tellement… bassement humain… même les moldus les plus détestables vivent sans doute cela… Tu sais, Tisiphone, depuis mon mariage, j’ai tout consacré à Bella et à la Cause. Certains des nôtres n’ont jamais hésité à profiter de sorcières impures lors de raids. J’aurais pu, moi aussi, mais jamais je ne l’ai fait…"

Car, évidemment, un soulagement uniquement physique ne servait à rien. Torturer des victimes, c’était une chose, les violer en était une autre. Et la cruauté de Lestrange n’avait jamais été jusque là. Peut-être parce qu’il avait toujours appris à respecter la gent féminine.
Et maintenant, après plus de quinze ans passés enfermé, sans femme près de lui, l’homme sentait bien que ce besoin charnel existait au creux de son ventre, aux côtés d’un besoin de tendresse et d’affection. Trois éléments que sa femme ne lui offrait pas, car même le sexe avec elle ne satisfaisait pas ces besoins. Peut-être justement parce que Rodolphus sentait qu’elle acceptait cela comme une corvée, comme une obligation due aux liens pseudo-sacrés d’un mariage qui ressemblait plus à un naufrage qu’à une union normale.

"La culpabilité, sans doute… Le mariage, c’est une promesse de fidélité. J’aime à croire que je n’ai qu’une parole, surtout en ce qui concerne mon épouse… mais je dois bien t’avouer que j’ai l’impression d’être le seul à penser de la sorte dans notre couple."

Le regard de Tisiphone n'avait pas cillé. La sorcière dévisagea en silence le sorcier. Qui aurait cru qu'elle allait se retrouver là, dans ce pub sur l'Allée des Embrumes en compagnie de Rodolphus pour une conversation des plus étranges ... Sûrement pas elle ... Et dire qu'au départ, elle n'était venue que pour faire quelques emplettes, le hasard était bien étrange.

La sorcière ne répondit pas immédiatement à l'homme qui lui faisait face. Elle avait simplement hoché de la tête, approuvant les paroles du sorcier. Elle pouvait tout à fait comprendre ce que ressentait le sorcier, même si leurs situations respectives étaient différentes.

Se sentir coupable ... Oui, c'était quelque chose qu'elle connaissait bien. Ce sentiment qui tout au début la prenait toute entière et qui lui laissait un goût amer. Combien de fois était-elle rentrée chez elle, après s'être perdue dans les bras d'un autre, la mort dans l'âme. Elle allait alors s'enfermer dans sa salle de bains ; elle restait un long moment sous la douche. Le jet d'eau brûlante lui servait à masquer ses larmes, comment sentir ses larmes couler quand elles étaient mêlées à la douche. Le temps avait fini par faire son oeuvre. La douleur était toujours là, mais Tisiphone avait appris à vivre avec. La culpabilité, elle avait fini par l'apprivoiser et la faire taire suffisamment pour ne plus rien ressentir.

Un silence entre les deux Mangemorts s'installa. Tisiphone reprit une gorgée - la dernière- de son verre.

- Mais ... les règles sont un peu différentes ...

La sorcière s'interrompit une seconde. Elle espérait que Rodolphus ne s'offusquerait pas de ses paroles.

- Cette promesse de fidélité est-elle vraiment à tenir ... dans un cas ... comme le tien ? Si ton mariage au final ... n'est que dans un sens ...

Tisiphone se renversa un peu plus en arrière dans sa chaise. Elle n'était pas en train d'inciter Rodolphus à tromper sa femme, mais si aller voir ailleurs pouvait l'aider ...

- Au final, la culpabilité, on s'y fait ... Souffrir parce qu'on se sent coupable ou souffrir parce qu'on est dans une situation qui fait mal ... quelle différence ça fait ?

Qu'est-ce qui poussait les gens à tomber amoureux? Au fond, n'était-ce pas une forme de faiblesse que d'aimer quelqu'un? C'était voué à l'échec, d'une manière ou d'une autre, puisque, le Seigneur des Ténèbres mis à part, personne ne s'en sortait vivant, dans la vie... on finissait toujours par mourir... Alors l'amour, c'était un rêve inaccessible, au final...
A moins que ce ne soit le sel même de la vie? Ce qui lui donnait du goût? Mais alors, si l'amour devait être le sel, le sexe, c'était quoi, exactement? un autre condiment, peut-être... mais dont il était extrêmement difficile de se passer... et le Mangemort savait bien à quel point cette pensée était vraie.

Alors, voilà où on en était... on aime, on aime moins, on n'aime plus... et puis on en vient à haïr. La haine, Rodolphus n'en était pas là. Il aimait toujours Bellatrix, comment aurait-il pu en être autrement? Mais il se posait des questions, et ça, c'était ce qui, généralement, amorçait le début de la descente vers le "on aime moins"... en tout cas, c'est ce que pensait Lestrange.

Si son bonheur dépendait tant de Bella, il était clair qu'il ne serait jamais heureux. Aller de l'avant était une solution, mais cela demandait de trahir une épouse et une promesse simultanément... Le sorcier vida son verre à son tour et posa sur son amie un regard pensif. Mrs Argos avait raison. Il le sentait...

"De deux maux mieux vaut choisir le moindre, n'est-ce pas?"

Oui, c'était cela que Tisiphone voulait dire, sans aucun doute. Et le moindre mal, dans le cas du Mangemort, c'était la trahison de Bella et de sa promesse de fidélité. Il pouvait très bien garder pour sa femme quelque sentiment difficile à vaincre mais "aller voir ailleurs" pour obtenir ce dont il avait besoin... et ce que sa femme ne lui donnait pas. La tendresse, la douceur, les moments coquins et ce genre de choses-là.

"Je vais y réfléchir... mais si ça "marche" pour toi, pour t'aider à rester toi-même, je devrais peut-être m'y mettre..."

Et à vrai dire, Rodolphus avait sa petite idée sur la personne qui pourrait lui venir en aide dans cette situation. Elle était jeune, charmante, discrète, talentueuse et mystérieuse. Le genre de femmes que tout homme sain d'esprit désire au moins une fois dans sa vie. C'était une jeune femme qui avait intrigué Lestrange dès qu'il l'avait vue et reconnue pour la première fois. A partir de là, il avait cherché à découvrir des choses sur elle, à en savoir plus... et ce qu'il avait finit par apprendre lui avait plu. Cela la rendait plus intrigante encore... plus fascinante, aussi...
Elle avait l'âge d'être sa fille... et jamais une femme ne lui avait semblé si attirante depuis Bellatrix. Oh, bien sûr, il savait reconnaître une beauté d'un thon, mais Joan possédait une petite subtilité supplémentaire, une subtilité que le sorcier n'arrivait pas à définir pour le moment...

"Je t'offre encore un verre?"

Le regard océan de Tisiphone resta accroché un long moment sur le sorcier qui lui faisait face. La sorcière ne disait plus rien, elle se contenta simplement de fixer Rodolphus. Le silence régna quelques instants, seulement brisé par les tintements des verres que le propriétaire du pub lavait puis ranger au-dessus du bar, les faisant léviter avec sa baguette.
Finalement, le Mangemort reprit la parole et la sorcière hocha doucement de la tête pour approuver ses paroles. Oui c'était tout à fait cela : autant prendre entre Charybde et Scylla ce qui faisait le moins souffrir ...

Perdue dans ses pensées, la sorcière baissa la tête quelques instants et observa le fond de son verre où subsistaient à peine une larme de whisky ambrée. Lorsque Rodolphus reprit la parole la Mangemort le darda de son regard océan et lui accorda un petit sourire.
On pouvait dire ça quelque part ... qu'effectivement ça marchait pour elle. Elle laissa échapper un petit soupir. Puis elle haussa les épaules.

- Oui, quelque part, ça marche, effectivement ... répondit-elle un peu évasivement. Tu peux toujours tenter cette solution ... C'est la moins douloureuse et au final avec le temps, ça ne fera presque plus mal ...

Rodolphus proposa alors un nouveau verre, mais cette fois la sorcière déclina l'offre.

- C'est gentil, mais je crois que j'ai assez bu, pour le moment ... lui répondit-elle avec le sourire.

D'ailleurs, un coup d'oeil à la pendule lui apprit qu'il était temps pour elle de s'en aller.

- L'heure tourne et je vais devoir y aller ... ajouta-t-elle.

Elle destina un nouveau sourire au sorcier et se leva alors.

- En tout cas, j'ai été ravie de te revoir, Rodolphus !

Une pointe de sincérité se laissait entendre dans la voix de la sorcière. Et son regard pétilla doucement tandis qu'elle continuait.

- J'espère que nous aurons d'autres occasions de nous revoir, autour d'un bon verre ou d'un ... petit divertissement, dirons-nous ...

Elle lui adressa alors un dernier petit signe de la tête en guise de salut et finit par s'éclipser.

Vos conseils sont
des ordres

R. A. Lestrange

Effectivement, tout cela avait un côté mûrement réfléchi. La solitude, si on s'y habituait très vite, ce n'était pas la meilleure solution et ce n'était rien d'autre qu'un échec, au final. Alors, tromper l'échec de temps en temps, c'était se permettre un regain d'énergie et de volonté. L'ambition reviendrait, avec la soif de pouvoir et le désir puissant de reconquérir Bellatrix. Car tout n'était peut-être pas perdu.
Peut-être suffisait-il de vaincre sa propre crainte, terrasser ses propres démons et se remettre à vivre pleinement. Alors, tout viendrait peut-être à point...

Le temps avait passé, coulé le sable du sablier, en même temps que le whisky... Il était temps à présent de reprendre le cours de sa vie, de quitter ce cocon douillet où la discussion avec une amie avait permis à Lestrange d'envisager quelque chose pour se remettre sur les rails. Qu'il ait besoin d'activité sexuelle, c'était normal. Mais ce n'était pas cela qui lui était indispensable pour le moment. Il devait se trouver un exutoire pour y déverser sa rage et y passer ses nerfs. Une victime à torturer, ça pourrait faire l'affaire dans un premier temps.

En voyant Tisiphone se lever, Rodolphus fit de même, un petit sourire accroché aux lèvres.

"Plaisir partagé, Tisiphone. Nous aurons certainement encore l'occasion de nous revoir. En des circonstances semblables ou différentes, peu importe..."

Il appréciait beaucoup Tisiphone. Sans être une amie aussi proche que Narcissa pour lui, elle était déjà d'une importance considérable pour lui. Elle l'aidait à mieux comprendre certaines choses.

"Je te contacterai. Passe une bonne fin de journée."

Rodolphus la laissa partir puis paya les consommations. Oui, il avait pris plaisir à voir son amie ici par hasard.

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