Déboucher des chiottes, moi ?

(il s'agit d'un flash-back : Rodolphus a 15 ans)

Suivre un elfe, voilà bien la pire chose à faire dès le petit matin. Rodolphus avait surtout envie de lui faire passer le goût du pain, ça c’était clair, mais voilà que la servile créature avait guidé l’adolescent jusqu’à la porte du bureau du Directeur de Poudlard.
Voilà qui ne facilitait pas les choses. Étriper ici un "membre du personnel" du Collège ne passerait certainement pas pour un acte de bonté ou de charité… et ça vaudrait très certainement quelques jours de renvoi, si pas un renvoi définitif. À éviter, donc. Mais de toute façon, un crac sonore se fit entendre et l’elfe de maison disparut.

Lestrange regarda l’endroit où il se trouvait. Ce n’était pas un quartier du château qu’il connaissait bien, pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas parmi les réguliers de Dumbledore. Rod’ était même plutôt de ceux qui montraient du doigt les élèves qui, envoyés chez le dirlo, en revenaient souriants et l’air détendus. Avec quelques potes de Serpentard, il avait lancé la rumeur disant que Dumbledore n’hésitait pas à se taper l’un ou l’autre élève parmi ceux qui étaient régulièrement reçus dans son bureau.
Se trouver ici, donc, Rodolphus pouvait très bien le justifier comme cela : un besoin d’enquêter pour faire jaillir la vérité et établir des faits plutôt que des suppositions.

L’excuse, il l’avait. Juste au cas où. Mais maintenant, s’il voulait se venger de l’elfe de maison, il fallait qu’il entre dans le bureau d’Albus Dumbledore et qu’il y retrouve l’imbécile créature. Seulement, comme chacun sait, le Directeur de Poudlard n’utilise pas une simple serrure qu’on pourrait facilement crocheter. L’Alohomora n’était pas possible non plus… le sort avait juste tendance à faire grimacer légèrement la gargouille de l’entrée. C’est du moins l’impression qu’eut le Serpentard.

Faisant demi-tour, les sourcils froncés et l’air plus soucieux qu’il ne le voulait, Rodolphus se mit à réfléchir : si l’elfe était entré là, il était évident que le jeune homme devait le suivre. Mais pour cela, il fallait nécessairement être en possession du mot de passe de Dumbledore. Un mot de passe qui pouvait être n’importe quoi, soit dit en passant : le nom d’un élève qu’il appréciait particulièrement, le nom de son animal de compagnie lorsqu’il était enfant, la date de naissance de son père, etc. Bref, les possibilités ne manquaient pas.
Pour entrer, il fallait le bon mot de passe. Et pour l’obtenir, eh bien l’héritier Lestrange ne voyait pas d’autre solution que d’essayer de soudoyer un autre elfe de maison. Mais c’était bien là quelque chose que l’adolescent n’avait jamais fait durant sa vie entière : corrompre des humains, c’était facile, la plupart faisaient ce qu’on leur demandait dès qu’il y avait de l’argent ou un truc à gagner. La majeure partie du temps, d’ailleurs, il suffisait de faire des promesses bien placées et puis on pouvait compter sur les gens.

Le plus souvent, râler n’amène à rien. Rodolphus finit donc par cesser de se torturer les méninges à la recherche d’un moyen autre pour trouver ce mot de passe et entrer. Rien n’y avait fait, il n’y avait pas d’alternative. Le Serpentard devait se plier au bon vouloir d’un elfe de maison. Une fois n’était pas coutume… mais le jeune homme se jura qu’il ferait payer cela à tous les elfes qu’il rencontrerait plus tard, quand il serait un grand et puissant sorcier.

Il y avait certainement une coalition de créatures serviles pour obliger les humains à agir comme bon semblait aux elfes de maison, car le jeune Lestrange fut bien vite pris en charge, si l’on peut dire, par un elfe – il aurait été bien en peine de dire si c’était le même que celui qui l’avait réveillé, tant ces immondes créatures le répugnaient – qui le regardait en souriant niaisement avant de lui faire signe de le suivre.
Les elfes sont tellement insignifiants que la plupart du temps, ils ne parlent pas. A moins que celui-ci ne soit muet. Quoi qu’il en soit, Rod’ suivit le petit être emballé dans un vieux torchon. Deuxième étage, toilettes des filles. Lestrange n’y avait mis les pieds qu’une fois, quand il était en quatrième année, pour flirter avec une fille de sa maison. Et il n’avait pas su faire grand-chose car des bruits s’étaient fait entendre, laissant comprendre que les deux élèves n’étaient pas seuls ici. Rodolphus et Eléa avaient alors cherché un endroit plus calme et plus solitaire.
Enfin, on ne pouvait pas dire que le jeune homme connaissait très bien les lieux.

L’elfe qu’il avait dû suivre ouvrit la porte de l’un des cabinets de toilette et tendit à Rodolphus un seau contenant tout un attirail de plombier spécialisé dans les canalisations de wc : furet dirigeable, ventouse à injection, soude magicaustique… le must en matière de débouchage de chiottes. Lestrange écarquilla les yeux et fixa un instant la créature d’un regard dubitatif.

"Tu rigoles, j’espère…"

L’elfe, bras tendu, semblait toujours offrir le seau à ustensiles à la main du jeune sorcier.

"Si monsieur Lestrange veut le mot de passe, monsieur Lestrange doit déboucher les toilettes. Monsieur Lestrange doit savoir que Mimi Geignarde le fantôme a bouché les tuyaux. Monsieur Lestrange peut utiliser tout le matériel de Woky, Woky est un bon elfe de maison, monsieur Lestrange, Woky fait ce que le maître lui a dit."

Tiens, oui, c’est vrai, quand ils parlaient, ils étaient vraiment ridicules, ces petits êtres au gros nez et aux bras trop longs. Rodolphus hocha la tête et regarda le seau.

"C’est ça… dégage ! Je ne veux pas t’avoir dans les pattes si je dois me taper ton boulot crasseux !"

L’elfe dénommé Woky s’inclina avec déférence et se retira, laissant Rodolphus seul, avec un pot contenant de l’eau à ras de la planche et un seau plein de machins dont l’adolescent ignorait le mode d’emploi.
Ôtant sa robe de chambre et le haut de son pyjama, vêtements qu’il alla suspendre loin de la toilette incriminée, Rod’ prit la ventouse dans le seau et s’agenouilla devant la lunette des toilettes en songeant plus que jamais à établir un tableau de chasse avec les têtes des elfes de maison qu’il aurait pourfendu avec joie quelques années plus tard. Et là, il enfonça la ventouse jusqu’au fond du trou, puis tira un peu, enfonça à nouveau… et n’obtint que d’affreux bruits de succion, fort semblables à ceux que font les trolls lorsqu’ils sucent leur gros orteil. Sssschlourp ssssschlourp… Ces chiottes étaient bien bouchées, c’était un fait. Il y avait sans doute suffisamment de merde là-dedans pour rendre heureuses une colonie de vacances réservée aux goules ! Mais la ventouse ne parvenait pas à grand-chose, à vrai dire… et Lestrange finit par se décider à la sortir de là, alors qu’il était déjà trempé de la tête aux pieds par l’eau qui avait jailli de la cuvette. Beurk. Encore heureux que maman Lestrange avait eu la bonne idée d’apprendre à ses deux gamins des sortilèges de tâches ménagères, le fils aîné pourrait ainsi se débarrasser de toute impression de saleté en un tournemain. Malheureusement, dans le lot des sortilèges en question, jamais elle ne leur avait appris de sort pour déboucher des chiottes.

Bon, ce n’était pas tout ça, mais si la ventouse ne fonctionnait pas, il fallait tenter autre chose. Et Rodolphus introduisit le furet dirigeable dans la cuvette. Le long ustensile métallique avançait dans les tuyauteries et reproduisait, magiquement, l’image de ce qui se trouvait juste devant lui sur le mur derrière la toilette. L’objet tournait dans les coudes de plomberie, rejoignait un réseau de tuyaux dont Rodolphus n’avait jamais soupçonné l’existence, tournait à nouveau, avançait encore… Il semblait que ce furet était sans fin.

Perdant peu à peu patience, l’héritier Lestrange balança dans la cuvette tout le contenu du bidon de soude magicaustique, un « puissant produit destiné à dissoudre toute chose dans les cuvettes », selon l’étiquette qui précisait plus bas « pas plus d’une cuillerée à café par toilette ».

Cette dernière information, le Serpentard aurait dû la lire. Ça lui sauta aux yeux lorsque de la mousse verdâtre commença à se former dans la toilette devant laquelle il était toujours agenouillé et dans laquelle se trouvait toujours le furet. Bizarrement, la mousse continua à se former, même après que Rod’ ait tiré trois fois la chasse d’eau. Et de plus en plus, les bulles devenaient couleur marron. Lorsqu’elles éclataient, l’odeur qui en réchappait relevait de la pure et simple infection ! D’ailleurs, Rodolphus n’hésita pas à se coiffer d’un sortilège de Têtenbulle pour échapper à la catastrophe olfactive qui menaçait…

Et soudain, les bulles devinrent grandes comme la paume de la main, et l’une d’elle, blanchâtre et sans doute plus légère en parfum que les autres, s’envola légèrement avant d’atterrir sur le réservoir de la chasse d’eau, où elle prit la forme d’une jeune fille avec des couettes…

"C’est gentil d’être venu, mon mignon… Tu aimes ma coiffure ?"

A nouveau les yeux écarquillés, Rodolphus la regarda un moment, avant de se reprendre :

"Ta coiffure ? Eh bien… elle met en valeur la forme régulière de ton visage…
Mais… Tu… Tu es qui ?"

Parler aux femmes, ce n’était pas bien difficile… et Lestrange avait toujours à peu près su y faire : un compliment discret mais presque sincère, et c’était joué. Ne pas parler que du physique, aussi. Bref…
Cette fille ne pouvait être qu’un fantôme, bien sûr, mais ça, Rod’ s’en doutait un peu. Ce qui l’intriguait, c’était surtout qu’elle avait l’air plutôt jeune. D’ailleurs, elle portait un uniforme de Poudlard. Le P de Poufsouffle était encore là, juste au-dessus de son cœur.

"Les gens m’appellent Mimi Geignarde…"

Rod’ l’interrompit. Ok, il en avait vaguement entendu parler, en fait. Et si ses informations étaient bonnes, elle pouvait lui être utile.

"J’espère que ça ne te dérange pas si je t’appelle juste Mimi ? Moi c’est Rodolphus…"

Il la regardait en ayant l’air le plus amical possible. Manipuler les gens, il y arrivait. Pourquoi pas les fantômes ?

"Dis-moi, tu connais bien cet endroit ? Je dois déboucher cette toilette mais je ne sais pas trop comment je suis censé faire…"

Il fallait croire que le charme ténébreux du Serpentard fit son petit effet sur la fantômette de service, car elle pouffa avant de dire qu’elle allait l’aider… et à ces mots, elle plongea dans la cuvette et activa tout le processus déjà en cours.
Il ne fallut pas quinze secondes pour qu’un véritable geyser sorte du pot de faïence, jaillissant jusqu’au plafond. Un sourire en coin apparut sur le visage du jeune homme. Le fantôme réapparut et Rod’ fit mine de l’embrasser sur la joue :

"Merci Mimi, t’es un amour !"

Après cela, il suffit d’un coup de baguette pour se laver et se sécher, ensuite réenfiler ses vêtements et balancer le matériel de débouchage dans les mains de l’elfe qui lui avait confié cette terrible tâche.

"Tiens, tu peux aller vérifier, mais tout fonctionne."