Edouard Billie Dream

Ma femme avait écrit un jour notre rencontre et me l'avait offert pour un de nos anniversaires.

-Ouvre c’est moi !

La porte grinça et s’entrouvrit de quelques centimètres seulement, le temps de laisser passer ce que j’avais pris pour une ombre. Il s’était approché de moi silencieusement et avait déposé un baiser furtif sur ma joue avant de s’éclipser prendre une douche. L’eau coulait sur le sol, sur le tapis, dans la douche. L’eau se répandait partout. Mais ce n’était pas vraiment grave si on y pense. Y’a des choses pires dans la vie. Oui y’a pire.

Comme d’habitude il avait oublié sa clé, alors il avait frappé sur la porte en bois jusqu’à ce que je me réveille et vienne lui ouvrir. Comme tous les soirs nous n’avions pas échangé une seule parole, pas un seul geste tendre, pas un seul regard qui disait « Je t’aime ». Non rien. Comme d’habitude. Mais bon si on y pense, y’a pire dans la vie. Oui y’a pire.

Alors je m’étais couchée ce soir-là, parce que plus grand-chose comptait à présent. Quand on n’a plus rien, ça ne sert à rien d’espérer. De toute façon quand on est au fond du trou et qu’on n’arrive pas à remonter, personne ne vous tend sa main pour vous sortir de là. Vous vous retrouvez seul face au mur froid et dur, à vous écorcher les doigts et à crier pour qu’on vous entende. Mais personne ne vous entends. Parce que vos cris auront bon être aussi fort que vous le pouvez, un cœur malade n’entends rien, ne vois rien, ne sens rien. C’est ça la véritable maladie d’amour. Un cœur gelé, dans un être humain frigorifié par la technologie ambiante. Et vous mourrez seul, dans votre trou.

-Tu sais Lisa c’est pas très bon de manger tout ça, un jour tu finiras par atteindre les cent kilos.

J’ignorais s’il fallait que je relève l’attaque ou s’il fallait que je la laisse passer. J’avais tellement entendu de choses de ce genre que j’avais fini par développer une armure anti-attaque. C’était la plupart du temps assez pratique et toujours très efficace. Ca me permettait d’entendre sans vraiment écouter. Comme quand on répète « Oui oui » à quelqu’un lorsqu’on ne le comprend pas. C’est un peu pareil. « Oui Nicolas je sais tout ça, mais je m’en fiche, alors si tu pouvais te taire ça m’arrangerais tu vois, parce que là je suis en train de manger, et j’aimerais le faire en paix si tu vois ce que je veux dire, parce que si tu n’ouvres la bouche que pour me critiquer Nicolas, boucle-la, parce que moi je m’en tape de savoir si je fais cent kilos ou trente parce que personne ne me touche plus tu vois, alors on s’en tape de tout ça. »

-Comme d’habitude de toute façon. Tu grossis tu grossis, et puis tu te fais vomir quand tu supportes plus. C’est comme ça que ça marche. Je devrais te faire payer les toilettes Lisa, parce qu’à ce train là, ça deviendrait une véritable entreprise.

Je me levais de table silencieusement, sans lui décocher un regard ni une attention. Nous n’avions plus rien en commun, nous ne partagions plus rien. RIEN. Mais y’a pire dans la vie. Oui y’a pire.

Quand il me demande ce que je fais le lendemain je réponds par un grognement, parce que de toute façon il s’en fiche de ce que je fais demain, c’est juste pour ne pas se retrouver au même endroit que moi au même moment. C’est ça la vraie plaie entre lui et moi. C’est plus « nous ». C’est lui et plus loin, y’a moi.

Le lit s’alourdit de deux corps qui ne s’aiment plus. Le lit grince sous notre poids, comme si lui aussi en avait marre de cette vie inventée entre nous. Parfois pour sauver les apparences l’être humain est capable de faire des choses complètement stupides. Ne jamais se fier aux apparences, parce que parfois, derrière la photo la légende ne correspond pas à l’image, parfois la description qu’on nous donne est erronée, comme une faute sur une copie d’un élève. Quelle note on a quand on fait trop de fautes ? Zéro. Zéro partout. « Tu as échoué Lisa, tu as échoué ». Je sais maman, je sais. Ferme les yeux et dis-toi que c’est un mauvais rêve.

-Alors qu’est-ce que tu fais demain ?

-Je t’évite Nicolas, je t’évite. C’est tout ce que je fais demain.

Il se tourna de l’autre côté, pour me montrer que la discussion était close. Parfois il ne faut pas forcer les gens à aimer. Ca les rend réticent à l’idée que quelqu’un puisse les aimer en retour. L’être humain est étrange. Il veut de l’amour mais il ne veut pas en donner. Et quand on lui prouve qu’on peut lui en donner, il prend peur. Il prend peur de l’amour. Vraiment étrange. Je me souviens du début de notre relation avec Nicolas, on s’était promis « ensemble », pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur passé, le pire avait fait son entrée… Il ne nous avait jamais quittés. Le pire, voilà ce qui nous est arrivé.

-Bonne nuit Lisa, bonne nuit, et passe une bonne journée demain, toute seule.

-De même pour toi Nicolas, va te bourrer le crâne d’ondes hypersoniques d’ordinateur marchant à l’électricité à 3000 Volts tu vois, parce que moi j’suis pas un écran, j’ai besoin qu’on me montre que je sers à quelque chose, tu ne peux pas m’éteindre Nicolas, c’est ça l’humain, c’est chiant, mais c’est chiant tout le temps.

Je ne l’aimais plus. Je ne le détestais pas non plus. Non le contraire de l’amour ce n’est pas la haine, c’est l’ignorance. Voilà ce qui nous est arrivé à nous. Le pire.

La matinée avait été longue dans cet appartement de 70m2, seule, même pas un animal pour me tenir compagnie. Les photos sur le buffet sont ternis, jaunes, vieilles. Je n’attarde qu’un regard, elles n’ont plus d’importance maintenant. Je sors cet après-midi. Je vais voir ma mère, parce que ma mère elle, elle me parle au moins. Elle ne m’écoute pas vraiment, elle n’entend que ce qu’elle a envie, mais je crois que je préfère affronter ça que d’assumer l’ignorance de Nicolas. Et je crois qu’il n’est pas assez patient pour prétendre assumer la mienne. Alors je vais chez ma mère.

-Lisa ? Mauvaise mine aujourd’hui.

Je fais oui de la tête.

- De toute façon ça ne change pas trop des autres fois où tu viens à la maison. Tu es maussade et ton teint est gris. Tu ne mange pas c’est ça ?

- Non maman, c’est pas ça, c’est juste que…

-Oui je sais que c’est Nicolas qui te met dans cet état. Ne te met pas comme ça à cause d’un garçon ma fille. Tu sais l’amour c’est dur quand ce n’est pas réciproque.

-Mais maman je…

-Je sais oui je sais. Tu l’aimes ? Alors prouve-le lui, crie-lui ! Fais quelque chose Lisa. Réveille-toi.

Le soir en rentrant à la maison, je l’avais trouvé affalé devant la télé. Il attendit que je sois glissée dans le lit pour me rejoindre, comme d’habitude. Là son corps froid s’était éloigné le plus possible du mien, comme si j’avais été radioactive.

-Alors tu vois y’a pas grand-chose à dire.

Je restais silencieuse. Non, il n’y avait rien à dire. Plus rien à dire.

Le lendemain matin, il était parti de bonne heure à son travail, comme d’habitude. Et là j’avais laissé un mot, sur un papier froissé, que j’avais piqué à la poste dans la file d’attente. J’avais griffonné quelques mots dessus, et puis j’avais fermé la porte doucement, sans faire de bruit. C’est ça l’amour. Ca va et ça vient. J’en étais venue à me demander s’il n’était jamais arrivé entre Nicolas et moi. Ou si ça n’avait été qu’une belle illusion.

En rentrant il avait du trouver ce papier sur la table vide.

« Je ne t’aime plus. »

C’est ça le pire. Et là vous pourrez toujours chercher. Y’aura jamais pire que deux êtres qui ne s’aiment plus. Qui ne se sont jamais aimés.

« Ignorant d'où je viens, incertain où je vais. »

En rentrant à la maison ce soir-là, je n’avais trouvé personne sur le canapé, personne dans la douche ou encore dans le lit. L’appartement était vide de sons et du lumières, vide de sentiment, vide de présence, vide de chaleur. Je n’allumais pas le téléviseur et parti me coucher directement. Rien ne servait plus à présent. Mon pyjama enfilé, j’ouvris l’armoire pour y prendre un nouveau haut. L’armoire était vide. Vide de vêtements, seuls les miens sur le côté droit étaient présents. Je la refermais doucement. Lorsque j’ouvris le placard de la salle de bain, le rasoir, l’après rasage et le déodorant pour homme avaient disparus. Comme une illusion qu’ils avaient déjà existés. Comme si j’avais un jour rêvé de tout ça, comme si Nicolas n’avait jamais existé, qu’il n’avait jamais habité avec moi, que nous n’avions jamais fait l’amour, que nous ne nous étions jamais engueulés les soirs de grand froid. Comme si j’avais toujours été seule.

Ma vie est un désastre. Le lit conjugal me paraissait bien grand sans une âme pour le réchauffer. Non pas que je regrettais le départ de Nicolas, non. La solitude est quelque chose de dur à affronter quand on a pris l’habitude de vivre avec quelqu’un près de soi. Qu’on l’aime ou pas, un corps ça offre de la chaleur, et une présence. Quand vous vous lavez les dents le matin, après une nuit passée dans un lit chaud que d’un seul côté, les traits tirés, les yeux à moitié fermés, les bras lourds et le cerveau encombré. Et qu’une larme perle à votre œil. Je la chasse très vite. Mais je vais devoir m’habituer à la solitude. A ce froid ambiant quand personne ne rentre le soir. Non Nicolas ne me manque pas. C’est juste sa présence qui manque. Sa chaleur humaine.

Au travail, les gens avaient recommencés à me regarder. Ils avaient appris à me voir, à se rendre compte que j’existais. Il faut dire que ça changeait beaucoup de choses. A la machine à café, on m’offrait un verre, dans les dossiers, on m’épaulait, le matin on me saluait et le soir on me souhaitait une bonne soirée. J’avais même surpris quelques regards pesants sur moi dans les couloirs de l’immeuble. Alors le matin désormais je faisais la bise aux filles, et les garçons continuaient leurs dossiers en m’adressant un petit geste de la main. Des sourires, des regards. De l’importance. J’avais de l’importance tout d’un coup.

Ma mère elle, avait mal prit la nouvelle de notre rupture.

-Je croyais que c’était pour la vie vous deux Lisa, je croyais. Toi et Nicolas, c’était censé durer ! Je ne pensais pas que tu puisses être comme ça tu sais. Je pensais que ma fille était quelqu’un de bien vois-tu, je me suis trompée. Alors vas-y ma fille, vas-y fais ta vie.

-Mais maman je…

-Non arrête, tu vas t’enfoncer plus qu’autre chose. Ton père et moi vivions un amour épanoui. Depuis sa mort, tu n’es plus la même Lisa, je ne te reconnais plus. J’aurais aimé que tu sois quelqu’un de bien Lisa. J’ai échoué.

Elle m’avait fait de la peine ce jour-là. J’aurais voulu lui dire « Tu vois Maman, y’a pas que moi qui ai échoué dans cette histoire. Non tu vois on est deux en tout. Toi et moi, et tant pis si ça te vexe, tant pis parce que t’as pas réussi à remplacer Papa quand j’en ai eu besoin, et moi les hommes j’arrive pas à les déchiffrer. J’y arrive pas, et tant pis si tu es déçue. »
Alors je vivais seule, dans mon appartement de 70m2, sans aucun animal ou autre. La télé me tenait compagnie les soirs où je ne dormais pas, et le lit conjugal était décidément trop vide. Le vide dans le lit, le vide à la table, le vide sur le canapé. Le vide dans ma vie. « Retrouve toi quelqu’un Lisa, t’es en train de faner, comme les fleurs en hiver. Tu fanes et c’est moche. Trouve-toi quelqu’un ma fille. » Ma mère, toujours très philosophe dans l’âme, ne trouvait jamais les mots justes, mais je l’écoutais sans rechigner. Je n’avais pas le choix après tout. Depuis notre rupture, Nicolas et moi, elle venait de temps en temps me rendre visite, ou plutôt m’imposer sa présence. J’avais voulu une présence, en voilà une. Je veux une présence qui m’aime, et qui sait m’aimer. Pas d’une présence qui fait semblant.

« Quelquefois, il y a des sympathies si réelles que, se rencontrant pour la première fois, on semble se retrouver. »

-Ca te dirait de venir à mon anniversaire Lisa ?

-Oui bien sur, pas de problème.

Pour la première fois dans ma vie de femme seule, on m’avait invité quelque part. Bien sur dans ma vie j’avais eu beaucoup d’autres invitations. Et puis j’avais rencontré Nicolas. Beau garçon, charmeur et frimeur. Irrésistiblement attachant, nous nous étions trouvés après quelques mois de doutes et d’incertitudes. Nous avions passés huit ans ensemble, huit ans que j’avais pris pour une éternité. Au départ, nous vivions heureux, sans problèmes. Quand ils ont commencés à arriver, j’ai réalisé que la vie n’était pas tellement tissée dans le rose. Non parfois elle prend du fil noir ou rouge. En ce qui nous concerne elle avait en avait prit du noir, pour ne jamais s’arrêter. Après six ans de vie commune, j’avais fini par me dire que l’amour, ce n’était pas pour moi. Alors on avait commencé à ne plus se regarder, puis par ne plus se toucher, par ne plus faire l’amour, et puis un jour on a arrêté de se parler. Alors on a arrêté de faire la guerre. Et s’est installée l’ignorance.

-Alors à sept heures et demi à l’école de voile samedi soir.

-A bientôt Marie-Lou, à Samedi.

Alors j’avais attendu. Que la semaine touche à sa fin, que le samedi arrive pour m’affoler sur ma tenue et ma tête. Après quelques essais, j’avais opté pour celle habituelle, ma tête de tout les jours, et puis pour la tenue, comme d’habitude…

-Tâche de te trouver quelqu’un ma fille, on dirait que tu ternis à vue d’œil, c’est effrayant !

Je descendis de la voiture, et pendant qu’elle s’éloignait, Marie-Lou vint me trouver en bas de la salle. Elle était jolie, comme d’habitude, elle souriait, oui comme d’habitude. Tout le contraire de moi-même. Dans la salle se trouvaient des hommes, des femmes qui parlaient. Moi je me sentais seule au milieu de ces visages réjouis, au milieu de tout ces gens qui continuent de parler, comme si personne ne voyait ma détresse, comme si personne ne percevait que j’allais mal. Alors j’ai fait comme si de rien n’était.

-Tiens, prends le saladier de bonbons Lisa, et fais passer.

J’attrapais ce qu’elle me tendait et me servis. Les bonbons c’est utilisé comme remède à toutes les plaies qu’on peut avoir. Un vaccin, un orteil cogné contre un meuble, une mauvaise note. On prend un bonbon et tout va mieux. Moi je crois que ma solitude me colle à la peau. Alors j’ai pris un bonbon, mais y’a rien qui s’est passé. Que du vide, encore et toujours.

-Je peux en avoir un ?

J’ouvris les yeux, et trouvais en face de moi un homme souriant, regardant le bocal que je tenais.

-Oh oui bien sur.

Il se servit et m’observa.

-Vous travaillez avec Marie-Lou ?

J’hochais la tête en esquissant un sourire. Il avait l’air aimable, les cheveux rasés de près, il avait des yeux bleus transperçant.

-Oui, je m’appelle Lisa.

-Yohan.

Au moins quelqu’un qui s’intéressant à moi dans la soirée. Comme un souffle d’air froid dans la nuque quand vous savez qu’on vous soutient. « C’est bien ma fille tu as trouvé quelqu’un, même si c’est pas le plus parfait qui existe, tu en a trouvé un Lisa. Peut-être que tu vas arrêter de faner maintenant. Parce que t’es tellement différente qu’on pourrait se demander si l’ancienne Lisa a réellement existée. »

Avec Yohan, on s’était dit Je t’aime le lendemain. Il avait fallu d’une seule seconde pour qu’on se reconnaisse. Il avait fallu d’une seule seconde pour le dévorer des yeux. Seulement un problème subsistait. Ma solitude ne me lâchait toujours pas. J’avais eu l’impression qu’elle s’en était allé quand Yohan était passé boire un verre l’autre soir. Et puis elle était revenue. Alors j’avais cru qu’elle ne me lâcherait plus. Alors j’avais fait comme si de rien n’était.

-Lisa, tu viens chez moi cet après-midi ?

J’avais accepté la proposition de Marie-Lou. Il faisait beau et le soleil brillait, alors j’avais dit oui. Derrière l’église, je l’avais rejoins, souriante.

-Il faut attendre quelqu’un d’autre aussi, il va bientôt arriver.

-Ah ? C’est qui ?

-Il vient en moto, je pense pas que tu le connaisses, elle tourna la tête, Ah ! Regarde le voilà.

Il s’arrêta doucement, et enleva son casque.

-Marie-Lou, qui c’est ?

-Edouard.